Danseurs de Blues

Photo Marco Eneidi modifiée par GIMP

Elle m’a demandé : « Pour qui écris-tu ? »
J’ai répondu : « Pour tout le monde, tous ceux qui voudront me lire, tous ceux qui aiment les mots qui cognent en musique. »
« Personne n’écrit pour tout le monde, il faut choisir. Même Homère, Hugo ou Verlaine. Pour qui écris-tu ? »
J’ai voulu répondre : « Pour moi. ». Mais ce n’est pas vrai. Ça c’est pourquoi j’écris. Pour hurler, cracher mon intérieur au soleil, l’exposer à la lumière, que ça respire un peu.
« Pour qui écris-tu ? »
J’ai voulu faire mon auteur, mon interviewé. J’ai dit : « Pour les lecteurs de Télérama et de Jazz Magazine. Les quadras et les quinquas qui jouissent de voir la souffrance des éperdus briller sur grand écran ou ruisseler dans les caves à Bobos sans fumée. »

Elle a secoué la tête et serré mon visage entre ses mains, les yeux durcis au feu plantés dans les miens. Bon Dieu, quelle force dans ses doigts éclatant mes pommettes, quelle douceur entre nos deux peaux d’amour.
« Pour qui écris-tu ? »
Elle a serré longtemps, en silence, le temps que ça percute la vérité. Elle n’a rien lâché, ni les yeux qui fonçaient, ni les doigts qui blanchissaient. Putain d’étau ! La vrille dans le crâne transperce le cœur sans s’arrêter, farfouille les tripes. Pas lâché, moi non plus, tout le long du trajet de la foreuse, parce qu’il fallait que ça jaillisse, un jour ou l’autre. Pas lâché, à cause d’elle, de nous, du cadeau qu’elle nous creusait dans mon ventre, de l’envie de lui offrir les pépites enfouies et les éclairs cachés tout au fond.
« Pour qui écris-tu ? »
« Pour les danseurs de blues ! », j’ai crié.
« Alors cherche par-là ! »

Elle m’a embrassé comme une goulue. On a gardé les yeux ouverts pendant qu’on s’avalait. J’ai vu l’or pétiller.

« Danseurs de blues, boxeurs, lutteurs, arracheurs de brume, artificiers des sols arides, vous qui puisez la vie au fond des cratères en éruption, qui transformez la fournaise en humus, passeurs de force et de beauté brute, rieurs de larmes, faiseurs d’orage, offreurs de blessures étincelantes, danseurs, danseurs, danseurs de blues, de liberté et de cicatrices élégantes, rythmeurs de cœurs à nus et d’âmes impudiques, danseurs, danseurs, danseurs de blues, j’écris pour vous mes frères,  orpailleurs de joie aux rides creusées, fouisseurs des éboulis intimes aux mains calleuses et au sourire de porcelaine, danseurs de blues, danseurs de vie au temps présent, preneurs d’envol nocturne, ressusciteurs d’aurore, vous qui vivez votre chair sans barguiner ni chercher le repos, qui fouillez dans vos failles pour extirper le soleil, funambules accrocheurs d’étoiles, au corps et au cœur bondissants, aux célestes fêlures, c’est pour vous que j’écris, qu’on sache que vous êtes beaux.
Merci de vos yeux clairs ! »

Dieu que j’aime cette Eau !

Photo Marco Eneidi modifiée avec GIMP Licence CC BY SA 2.0

Publié par Patrice Goudin

Officiellement, je m’appelle Patrice, j’écris des nouvelles, des textes courts, je joue et parfois mets en scène au théâtre. Encore plus officiellement, je suis consultant et coach (étonnant !) et ce qui me met en joie, c’est quand le cœur parle, que les yeux brillent et que chacun ressent l’émerveillement qui est la marque de notre humanité.

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